[PORTRAIT] Pr Philippe Gain, chercheur-trouveur

CHIRURGIEN-CHERCHEUR, LE PROFESSEUR GAIN EST SPÉCIALISÉ DANS LA GREFFE DE CORNÉE. IL DIRIGE LE SERVICE D’OPHTALMOLOGIE DU CHU DE SAINT-ÉTIENNE, MAIS AUSSI LE LABORATOIRE D’EXCELLENCE BiiGC. POUR TRANSFÉRER LE FRUIT DE SES TRAVAUX À L’INDUSTRIE, IL VIENT DE CRÉER AVEC SON COÉQUIPIER GILLES THURET LA SOCIÉTÉ KÉRANOVA. PORTRAIT D’UN MÉDECIN PASSIONNÉ QUI N’A PAS FROID AUX YEUX.

« Ici aussi, c’est le Chaudron. » L’inscription qui trône à l’entrée du laboratoire de Biologie, d’ingénierie et d’imagerie de la greffe de cornée (BiiGC) de l’université Jean Monnet est à l’image de son patron. « Stéphanois d’adoption et fier de l’être », le professeur Gain a le cerveau en ébullition permanente. C’est un meneur de jeu que rien n’arrête.

À 54 ans, ce chirurgien de l’oeil a embrassé plusieurs carrières, puisqu’il est aussi enseignant et chercheur. Cette troisième vocation est sa plus grande fierté : « Soigner, c’est formidable ; transmettre le soin, c’est encore mieux ; mais aider la médecine à progresser, c’est absolument magnifique ! » Originaire de Chablis, dans l’Yonne, Philippe Gain n’aime pas perdre son temps. Ce fils d’instituteurs décroche son bac à 16 ans, entre à la fac de médecine de Dijon et en ressort à 22 ans ophtalmologiste, spécialisé dans la cornée.

C’est en 1992 qu’il arrive au CHU de Saint-Étienne dans le service du Pr Jean Maugery, qui devient son mentor, et auquel il succédera par la suite. Il y rencontre son jeune collègue Gilles Thuret, désormais professeur, avec lequel il forme depuis plus de vingt ans un tandem de choc. Ensemble, ils créent le BiiGC « à partir de rien ». En quinze ans, le laboratoire acquiert une solide renommée internationale. Implanté depuis l’an dernier au Campus santé innovations, il emploie une quinzaine de chercheurs qui explorent la cornée sous toutes ses coutures : ingénieurs en biologie, optique, image, traitement du signal, etc. « Je gère cette structure comme une PME multiculturelle et diversifiée… qui ne met pas tous ses “yeux” dans le même panier », s’amuse son directeur.

 

 

" Chirurgien-chercheur me va bien,
chirurgien-trouveur me va mieux."

 

L’équipe travaille actuellement sur deux projets phares dans le domaine des technologies médicales. D’une part, le bioréacteur : un dispositif permettant « d’améliorer la conservation des greffons cornéens afin qu’ils durent plus longtemps chez le receveur ». D’autre part, une innovation de rupture technologique « encore confidentielle mais qui apportera une avancée considérable à la chirurgie de la cataracte et de la cornée ». C’est pour transférer cette dernière à l’industrie que la start-up Kéranova a été créée début 2016. Elle prévoit d’embaucher une vingtaine d’ingénieurs de haut niveau dans la Loire. En matière de biotechnologies, le BiiGC n’est pas non plus sur la touche, puisqu’il expérimente la culture de morceaux de greffons in vitro. « Là, les applications sont plus lointaines, mais j’espère voir ce projet aboutir avant ma retraite. Dans la recherche, il faut toujours se projeter au moins dix ans en avant », lance le Pr Gain.

C’est avec le même esprit entrepreneur et visionnaire qu’il gère le service d’ophtalmologie du CHU, où près de 45 000 patients sont traités chaque année pour des pathologies sévères de l’oeil. Pour pallier les déserts médicaux, il a mis en place au sein des hôpitaux de Roanne, Montbrison, Firminy, Saint-Chamond, et Annonay cinq « filiales » de son service stéphanois. Baptisée ONG, pour « ophtalmos nouvelle génération », cette démarche est, elle aussi, une passe décisive dans la carrière de l’infatigable professeur. Malgré un agenda surchargé, ce père de trois enfants est visiblement un homme comblé. Son secret pour tenir le rythme ? « Mon moteur, c’est le plaisir. En fait, je n’ai même pas le sentiment de travailler ! »

>> En 5 dates

HUB 0869

  1984
  Première opération de l’oeil réalisée à 23 ans

  1997
  Rencontre avec Gilles Thuret, son bras droit pour la vie

  2001 
  Création du laboratoire BiiGC

  2015 
  Installation au Campus santé innovations

  2016
  Création de l’entreprise Kéranova

Le bioréacteur mis au point par le professeur Gain permet d’optimiser la conservation des cornées issues du don d’organes, qui pourront ainsi durer 20 ans chez une personne greffée, contre 10 ans aujourd’hui.
 

Une start-up qui va révolutionner la chirurgie des yeux

Bonus WebLes travaux du laboratoire Biologie, ingenierie et imagerie de la Greffe de Cornée (BiiGC) ont permis à l’équipe du professeur Gain de concevoir une machine qui devrait révolutionner la chirurgie de la cataracte et de la cornée. Pour la développer industriellement et la proposer aux hôpitaux et cliniques du monde entier, Philippe Gain et son adjoint Gilles Thuret ont créé début 2016 la société Kéranova. Cette start-up « med tech » prévoit d’embaucher entre 15 et 20 ingénieurs de haut niveau qui s'installeront à partir du mois de juin sur le site de la Manufacture à Saint-Étienne dans des locaux de plus de 500 m2. Son PDG, Fabrice Romano, a déjà vécu une belle success story avec son entreprise EyeTechCare. Face au potentiel colossal du projet Kéranova, il n’a pas hésité à se lancer dans cette nouvelle aventure aux côtés des patrons du BiiGC. Un premier tour de table vient de leur permettre de lever 4 millions d’euros. À partir de l’innovation de rupture technologique mise au point par le laboratoire stéphanois, la start-up commercialisera d’ici quelques années des machines qui permettront de « réduire considérablement les étapes manuelles de différentes indications chirurgicales du segment antérieur de l’œil ». Un millier de blocs opératoires à travers le monde pourraient être intéressés par cet équipement. Véritable pépite ligérienne, Kéranova a donc de beaux jours devant elle !


Crédits photos : Hubert Genouilhac/PhotUpDesign

 

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