[PORTRAIT] Rendez-vous au Pays des merveilles avec Jean-Claude Mourlevat
Des générations de collégiens ont dévoré ses ouvrages. Classé parmi les meilleurs auteurs français et internationaux, Jean-Claude Mourlevat habite la plaine du Forez depuis 1994. Parcours d'un homme simple et discret.
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"Vous ne ressemblez pas à un écrivain", lui dit un jour son éditrice, louant sa « normalité ». Alors que le succès eut, chez d’autres, fait naître des parangons d’orgueil, Jean-Claude Mourlevat est resté l’accessible Ligérien d’il y a 30 ans. « J’ai commencé à me dire écrivain en 2006, confie-t-il. Après la parution du Combat d’hiver, mon neuvième roman. Il était volumineux, traduit en 20 langues. Je me suis dit "Là, mon garçon, il faut assumer !" Le qualificatif, jusqu'alors, me semblait prétentieux. »
L’homme reçoit sur les hauteurs de Saint-Just Saint-Rambert, dans l’intimité du pavillon familial où se joue, plein ouest, le spectacle de la plaine. À l’étage, la pièce de travail déborde de volumes ; tableau réjouissant. Le sexagénaire extrait du mur une réédition de son tout premier bouquin, Histoire de l’enfant et de l’oeuf. Les pages illustrées glissent entre ses mains.
« C’est un petit village. C’est la neige, commente-t-il. C’est Job, je m’en rends compte maintenant ». Du nom de la bourgade qui le vit naître en Auvergne. Quasi-visible depuis la terrasse par beau temps.
Clown dans une autre vie
Membre d’une fratrie de six, Jean-Claude Mourlevat quitte en 1970 le Puy-de-Dôme pour suivre ses études et s’établir en Normandie. L’ancien interne d’Ambert est embauché comme prof d’Allemand. Il n’a pas rêvé de cette carrière, « piégé par sa bonne réussite », dont il se lasse au bout de cinq ans. Changement d’aiguillage. Le jeune adulte, ému par la puissance théâtrale de Beckett, choisit de se faire clown.
Deux de ses spectacles rencontrent un succès considérable mais cet ancien timide assure manquer d’aplomb. « Il me fallait prendre sur moi. Le jeu n’était pas un talent naturel ». Il s’accomplit en revanche dans la mise en scène. Retrouve, avec la compagnie Métafor, une terre familière à ses ancêtres : Montbrison.
Le premier de ses contes est rédigé pour le théâtre. Il s’essaye au roman, suscite l’enthousiasme de belles maisons. On lui promet un grand avenir. Il s’en gausse, incapable de penser ce que sera sa fortune : un million d’exemplaires vendus avec L’enfant océan, un autre avec La rivière à l’envers puis, courant 2021, la remise du prix Astrid-Lindgren, équivalent du Nobel.
Jean-Claude Mourlevat rumine à l’époque une déception. Il a, quelques mois plus tôt, échappé au sacre de l’illustre prix Andersen, ne songe plus à ce dossier rempli pour l’Alma (Astrid- Lindgren Memorial Award). Le coup de fil le cueille en pleines funérailles ; le début de nouvelles sollicitations et de très nombreux séjours à l’étranger.
Par monts et par vaux
Il ne s’en plaint pas. Le sexagénaire a toujours aimé bourlinguer, ayant découvert ce plaisir au tournant de la majorité. « C’étaient les débuts du Routard. Les vols en charters n’étaient pas chers. Je me souviens avoir quitté le domicile avec mon sac à dos. Une automobiliste s’était arrêtée pour me prendre en stop. Elle avait demandé : -Tu vas où ? À Vertolaye ? -Non, en Amérique ! »
L’anecdote sonne comme une ébauche de conte. Un fil à tirer ? Et pourquoi pas ? « On parle toujours de soi », confie le Pontrambertois, chaude voix, silhouette sèche, dont la femme Rachel et les deux enfants sont les premiers lecteurs. Catalogué auteur jeunesse, Jean-Claude Mourlevat ne dispose pas -à tort- de l’aura d’un Houellebecq. Il n'en excelle pas moins dans l’univers du merveilleux.
L’un de ses romans vient d’être adapté au cinéma (*). Le troisième tome de Jefferson est en cours de publication. Le Ligérien profite de ce cours temps de relâchement pour s'adonner au bricolage, l'esprit à de nouveaux rebondissements. « Les premières lignes me sont toujours difficiles mais une fois lancé, je m’amuse énormément. Les personnages cavalent devant… »
(*) La troisième vengeance de Robert Poutifard, sorti en juin sous le titre Les vengeances de maître Poutifard
>> En 5 dates
22 mars 1952 : Naissance à Ambert.
1994 et 1996 : Naissance de ses deux enfants.
1997 : Publication d'Histoire de l'enfant et de l'oeuf.
1999 : Publication de L'enfant océan.
2021 : Réception du prix Astrid-Lindgren.
© Vincent Poillet