[PORTRAIT] Pierre Thivillon, l'homme et les grands singes
150 000 visiteurs passent annuellement les portes du zoo de Saint-Martin-la-Plaine, peuplé de bruits exotiques, d'odeurs animales, de frémissements. Un homme tient la barre de cet impressionnant vaisseau. Portrait.
Retrouvez tous les articles du Loire magazine 158 - novembre-décembre 2023 en version audio dans la bibliothèque de podcasts. Ce contenu vous est proposé en lien avec l'association "Donne-moi tes yeux".
Pierre Thivillon a quitté tôt son domicile. Les fenêtres du logis sont ouvertes ; quelques salariés occupés dans l’ombre des bureaux. L’attente est douce sous la ramure luxuriante, bercée par les cris d’animaux et les communications radio. Une voix, quelque part. Celle du patron, impatiente, agacée. Un problème d’abreuvage à régler ; il s'y colle, tout au bien être de ses pensionnaires. Question de priorité.
Lorsqu’il reprend en 1972 la propriété Champ Bovet à Saint-Martin-la-Plaine, le Ligérien n’a pas une notion de zoologie. Tout juste a-t-il déjà soigné tourterelles et faucons crécerelles tombés du nid. Ce pépiniériste de métier rêve d’élevage mais se refuse à faire commerce d’êtres vivants. Il bifurque avec son épouse vers la conservation.
Parti de rien
Le chantier est colossal. Rien n’habite alors la colline, pelée et grillée à l’été. Tout est à bâtir. Tout est à planter. « On a commencé avec quatre fois rien, se souvient l’octogénaire. Quelques petits singes et félins. Pas de quoi intéresser le public ». Et pourtant. La curiosité aidant, les visiteurs se relayent au portail.
Le moindre centime est investi dans les murs. Endetté, le couple doit affronter chaque hiver les grimaces du banquier. Jusqu’à recueillir ses premiers gorilles, sur trois coups du hasard et par l’entremise de notables un temps exilés à l’étranger (à l’époque, il n’est pas rare de recevoir un gorille pour services rendus en Afrique. Mais l’animal s’avère encombrant en Métropole).
Sa fille, son gorille
Onze primates se prélassent aujourd’hui sur les pelouses ligériennes, dont plusieurs nés à Saint- Martin-la-Plaine. « Une vraie fierté, se rengorge Pierre Thivillon. Il n’existe que cinq parcs en France capables de présenter des femelles. » Tam-Tam, Likalé, Gincko, assurent le spectacle. Pierre Thivillon a lui aussi son public. « Regarde, c’est le monsieur qu’on a vu à la télé », glisse un touriste, admiratif, à sa compagne. Sa célébrité, le vieil homme la tient de sa fille adoptive, Digit.
La « petite » est née le 27 octobre 1998. Très vite, les Thivillon comprennent que Paméla, la génitrice, n’assumera pas ses devoirs de mère. Ils conviennent d’allaiter le rejeton pour lui sauver la peau. « Digit est restée dans notre lit pendant 18 ans », se marre Pierre. Une grille sépare dorénavant le couple -sans enfants- de l’énorme masse de poils mais le primate continue de visiter chaque soir ses protecteurs. « Elle m’envoie des bisous pour me réveiller lorsque quelque chose ne va pas, indique Pierre. Nous lui apprenons à vivre près de nous plutôt qu’avec nous. Car un jour nous ne serons plus là… »
Un chimpanzé, Tahise, loge pareillement à leurs côtés. Preuve que ce bonheur n’est pas donné à tout le monde, il faut aux Thivillon évacuer les employés de bureau, au passage de la demoiselle, matin et soir, pour ne pas risquer d’accident. Cette proximité les oblige. Jamais, en quarante ans, Pierre n’a pris de vacances et rares sont ses virées à Saint-Étienne ou Rive-de-Gier. « Ma tête et mon coeur sont ici », commente-t-il sobrement.
Projets d'agrandissement
Un AVC l’a contraint au repos voici quelques mois. Les traits sont ridés mais rayonnants. Hypersensible (quoi qu’autoritaire), le Ligérien s’émeut au récit de ses revers. Le souvenir de ses chers disparus (Atanga ou Platon) appelle ses larmes. Il se reprend pour discuter projets d’agrandissement. « Le parc couvre 12 hectares mais nous avons acheté tous les champs attenants. 8 hectares d’un coup. »
Il ambitionne d’y bâtir de nouveaux enclos pour les chimpanzés. Quelques parcelles sont en outre dévolues à l’association Tonga créée en 2008 pour recueillir petits et grands représentants du monde sauvage confiés par les cirques ou les autorités. Déjà passés par Saint-Martin : un hippopotame, une centaine de magots et quantité de félins.
>> En 5 dates
8 septembre 1943 : Naissance à Saint-Martin-en-Haut. Pierre Thivillon est membre d’une fratrie de sept.
10 février 1968 : Mariage avec Éliane.
23 juillet 1972 : Ouverture du zoo de Saint-Martin.
1974 : Arrivée du premier gorille, Alexis, suivi en 1976 de l’emblématique Platon.
1995 : Naissance du premier bébé gorille, Atanga.
© Fabrice Roure et Espace zoologique de Saint-Martin-la-Plaine