[PORTRAIT] Laurent Lufroy, tout en haut de l'affiche
Danse avec les loups, Nikita, Enter the void, Cobra verde... Les meilleures affiches de cinéma portent la signature de Laurent Lufroy. Homme aussi discret qu'estimé. Ligérien de surcroît.
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Son nom ne vous dit rien ? Son travail, assurément. Amélie Poulain, The Artist, Taxi… Laurent Lufroy est l’auteur de 800 affiches de cinéma. Des visuels de légende. Le bonhomme n’a pas d’existence sur le Net ; pas de site, pas d’adresse. L’on pourrait croire à une chimère mais l’échange de cette mi-janvier nous le rend bien réel. Il est 15 heures. Début de journée pour cet animal nocturne, d’attaque seulement passé le déjeuner. Paris bruisse sous ses fenêtres. Il a depuis longtemps quitté la Loire pour Montmartre. Le hasard a placé son atelier au 15 de la rue Lepic, à l’étage du Café des deux moulins, au décor starisé par le film de Jean-Pierre Jeunet.
20 000 planches dorment en ses placards, projets d’affiches écartés ou censurés dont il pourrait, un jour, faire un bouquin. « Parce que 90% d’entre eux avaient ma préférence ! », glisse-t-il avec entrain. On imagine le premier chapitre de cette anthologie consacré à son entrée dans le métier.
En 1985, jeune étudiant en Arts appliqués, il participe au concours d’affiches de la Fondation Gan pour le cinéma. Les candidats planchent sur La Forêt d’émeraude, présentée hors compétition à Cannes. Le visuel du Ligérien échoue en finale mais séduit Laurent Pétin, patron d’ARP. L’agence règne alors sans partage sur le marché du 7e art. On met à l’épreuve son crayonné sur Maladie d’Amour et Jaune Revolver. Concluant.
Nuits de travail avec Gaspard Noé et Dupontel
Laurent Lufroy est à 19 ans propulsé dans la sphère hollywoodienne. « La culture de l’affiche avait quelque chose de très français, les majors nous déléguaient la tâche en confiance », raconte-t-il. Le gamin traite avec les plus grands noms de l’industrie cinématographique : Michael Chimino, John Huston, Kevin Costner et, de ce côté-ci de l’Atlantique, Alan Parker, Ridley Scott, Godard, Fellini… « Mais j’étais trop jeune pour apprécier pleinement ces rencontres… », confesse l’aimable quinqua, visage rond et souriant. L’homme réserve désormais l’usage de son talent.
S’il n’entretient plus tellement de liens avec le continent américain (« les studios font désormais tout faire en interne »), nombreuses sont les sollicitations venues d’Espagne, d’Italie ou de Chine. Mais c’est en France qu’il partage avec la profession plus que des contrats, des liens d’amitié. Gaspard Noé, Albert Dupontel ont son admiration et son oreille. « Il nous arrive de travailler la nuit autour de quelques bières. J’apprécie leur compagnie autant que leur univers. »
Son propre style est affaire de perspective. « J’ai fait six ans d’histoire de l’art, rappelle-t-il. J’essaye de focaliser le regard. Cela passe par les contrastes, les lumières. » L’artiste défend la pondération.
Il faudrait tout raconter d’un film en une image. Mais non ! Il faut choisir une direction. La frustration est essentielle.
Est-ce son côté révolutionnaire punk qui séduisit Luc Besson ? Peut-être. Lui qui fit l’impossible pour le voir réaliser le visuel de Léon. « C’était en 1993. Je sortais de huit années de boulot intensif, se souvient le Ligérien. Je n’en pouvais plus. J’avais décidé d’un tour du monde dont s’alarmait Gaumont. Nous avions convenu de reprendre contact un peu avant la sortie en salles ».
Le coup de fil le cueille alors en Nouvelle-Calédonie. Il faut au Ligérien établir une petite liste de matériel, envoyé en colis par DHL. « Je travaillais encore à la main, à l’acrylique et aux petits pinceaux ! » Tenté un temps par la mise en scène, puis la distribution (Tarnation, de Jonathan Caouette, a marqué son incursion dans le milieu), le bonhomme sait aujourd’hui préférer la création en solitaire.
Son agence porte le nom des habitants de Saint-Chamond, « Couramiaud ». Un clin d’œil au territoire qu’il retrouve une fois l’an pour visiter famille et copains d’enfance, dont Pierre Haon, ancien capitaine de l’ASSE, croisé sur les bancs du collège Jean-Rostand. Il sera le 12 avril (20 h) au Veo Grand Lumière invité d’une masterclass autour du film Rosalie, le 13 après midi à l’écomusée d’Usson-en-Forez dans le cadre d’une exposition consacrée à l’affiche de cinéma et le soir au Ciné Rex de Montbrison.
>> En 5 dates
2 avril 1966 : Naissance à Saint-Chamond. Il étudie au collège Jean-Rostand à Fonsala puis à La Martinière à Lyon et à l’École supérieure des arts appliqués de Paris.
Août 1985 : Débuts avec l’agence ARP. Il y reste quatre ans avant de monter sa première agence, Yéti, avec un associé de Saint-Chamond.
Novembre 1993 : Tour du monde. « Mes deux plus belles années », confie-t-il. À son retour en 1995, il s’établit sous le nom de « Couramiaud ».
1990 : Nomination aux César pour l’affiche de Valmont. Le titre lui échappe. L’année suivante, il figure de nouveau dans la sélection pour Nikita avant la brusque suppression de la catégorie par Canal+.
1996 : Reçoit 5 prix dans le cadre d’une cérémonie organisée par JCDecaux.
© Laurent Lufroy