[PORTRAIT] César Troisgros, nouveau chef de famille

César Troisgros a pris la tête du Bois sans feuilles à Ouches, auréolé de trois étoiles Michelin. Le jeune chef de 37 ans imprime sa marque sans emphase.

Le 6 mai 2024

  

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Troisgros-web Il est des vies qu’on ne choisit pas, des destins plus grands que soi. Lassé, adolescent, de s’entendre lire son avenir – un futur culinaire, assurément –, César Troigros avait imaginé percer dans l’ingénierie du son. Il est aujourd’hui à la tête de l’une des plus grandes brigades de France. L’affaire ne doit rien au hasard, pas plus qu’à un quelconque sens du devoir. Plutôt à son parrain, président de la chaîne Relais et Châteaux dans les années 2000. « Il avait mis le sujet sur la table, ce que mes parents n’osaient pas faire. L’occasion pour moi de réaliser que j’avais de l’amour pour ce métier »

Lunettes noires, barbe sombre, il a, ce samedi, délaissé les fourneaux pour les fauteuils du lounge, impeccable dans son tablier blanc. Une forme d’autorité, de rigueur, émane de sa personne. L’incarnation de la perfection.

Son CV reflète sans surprise l’itinéraire des grands : Institut Paul-Bocuse, stages chez Rostang (Paris), les frères Roca (Gérone), Thomas Keller (Californie) ; d’autres encore auraient pu faire un atout de sa technique si l’actualité n’avait joué en leur défaveur. En 2011, César Troisgros projette un séjour au Japon quand le séisme de Fukushima contrarie ses envies d’ailleurs. « Je ne m’étais pas vu travailler avec mon père, confie-t-il. J’occupais à Roanne un poste de chef de partie mais je pensais cette situation provisoire. Les mois ont passé. Je suis resté. »

Une cuisine d'instinct

 Le déménagement sur la commune d’Ouches en 2016 le voit s’élever, prendre des responsabilités. Depuis quelques mois, le trentenaire dirige seul la brigade. Michel (le père) a pris du recul, en confiance. César travaille son style. Quel est-il ? « Équilibre, simplicité, vivacité, pureté. Ma cuisine n’est pas démonstrative ».

L’homme émince et fricasse à l’instinct, libre comme le furent son grand-père, Pierre, et son oncle, Jean, d’innover. « Dans les années 1960, chacun avait tendance à reproduire les plats d’Escoffier. Leur père avait dit : ‘Allégez, raffinez, changez !’ » Une recette, un credo. « On ne s’est jamais rien interdit, déclare César. La limite demeurant de faire plaisir au client ».

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Le Roannais confie tâtonner, se laisser guider, filant la métaphore musicale (ses rares moments d’oisiveté le voient jouer de la guitare, lui, le fan de rock’n roll) : « Un menu gastro ressemble à un album de musique. Pierre Boulez (*), c’est magistral mais c’est trop complexe. On n’y revient pas deux fois. Notre oreille n’est pas assez développée pour l’apprécier. Alors qu’un album des Rolling Stones s’écoute en boucle. Les trois accords de Start me up suffisent à faire danser des stades entiers. C’est la même chose en cuisine. Avec trois ingrédients, le champ créatif est infini. »

Le cadet des Troisgros sait devoir exceller en son domaine (la Maison compte 3 étoiles Michelin depuis 1968). Confirmé par le Guide rouge, il ne fait pas montre de fierté : « Je m’inscris dans la continuité ». Le décor, dans son dos, confine au sublime : essences de bois, immenses baies vitrées... La famille évolue ici en huis clos. Dans l’entourage de César : une fillette de deux ans, un bébé bientôt, mais aussi père, mère, sœur et frère (Léo a repris la Colline du Colombier). « Même si le partage du commandement n’est pas toujours évident, travailler à cinq a des avantages. L’un de nous est forcément présent pour accueillir les clients. C’est une grande force »

(*) Compositeur contemporain originaire de Montbrison

>> En 5 dates

5 novembre 1986 : Naissance à Roanne. César Troisgros descend d’une famille de cuisiniers : Jean-Baptiste, fondateur de l’Hôtel moderne à Roanne en 1930, Pierre, passé aux fourneaux en 1950, rendu célèbre par sa recette de saumon à l’oseille (fruit d’une collaboration avec son frère Jean) et Michel.

17 février 2017 : Ouverture du Bois sans feuilles. Cette aventure décide le chef à s’ancrer dans la région.

3 août 2021 : Naissance de sa fille.

Février 2023 : César prend les commandes de la cuisine.

2024 : La Maison fait une apparition dans l’émission Top chef, une première. « Une expérience plutôt intéressante », confie le restaurateur.

© Félix Ledru et Vincent Poillet

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