[UNE PAGE D'HISTOIRE] Yves Nayme : un homme et des jeux
On lui doit l’organisation des premiers grands jeux français de handisport. Son nom : Yves Nayme.
Publié le 6 janvier 2025
Ce contenu vous est proposé en lien avec l'association "Donne-moi tes yeux".
Une pierre tombale en grès, un enduit fatigué, des touffes d’herbes folles… C’est au cimetière de Valbenoîte, à Saint-Étienne, qu’il faut chercher le souvenir d’Yves Nayme. Deux plaques de marbre rendent grâce au défunt. Où lire : « Merci pour cette grande aventure sportive ». Une allusion à ce qu’il fit pour le mouvement handisport, lui qu’un revers du destin plongea dans l’infirmité en juin 1956, au sortir d’une course en montagne : la pointe Francesetti par le refuge des Évettes.
Triste course en montagne
Nuit écourtée, efforts matinaux, soif lancinante. Au sommet, ce jour-là, le Stéphanois de 26 ans porte ses lèvres à la gourde d’un ami. Le récipient déborde de l’eau d’un névé. Non potable. Il recrache sans savoir que l’infection gagne déjà ses veines : poliomyélite. Douze jours plus tard, il est à l’agonie ; le virus le laisse paralysé d’une jambe.
Cinq années de rééducation échouent à lui rendre sa complète mobilité mais le dispensent d’une canne. Pas sûr qu’il s’en console, lui, l’ex-mordu de ski. Jusqu’à croiser la route d’Étienne Chapas, unijambiste aveugle, sur les pistes de Courchevel. Le matériel est adapté, le professeur intraitable -capable de repérer une faute de carre au simple bruit des planches. Yves Nayme retrouve le plaisir de la glisse en même temps qu’il pressent l’intérêt du sport pour tous les « exclus de la terre ».
Jeux européens et jeux mondiaux
Il crée en 1962 à Saint-Étienne l’Association sportive des handicapés physiques de la Loire. Les locaux, rue Michelet, sont exigus. « Nous avions une salle de ping pong, avec deux tables, un bureau et une salle d’haltérophilie », se souvient Christian Vigne. Mais le président a de nombreux projets. Il participe, en 1963, à la création de la FFSHP (Fédération française de sports pour handicapés physiques) et décroche en 1966 l’organisation des jeux européens. Ce coup de maître sert de tremplin : en 1970, Saint-Étienne est le théâtre des premiers jeux mondiaux. « Mes amis se plaignent du rythme trop épuisant que je leur impose », écrit-il à un correspondant danois.
Course handisport du Tour pédestre de Saint-Rambert
Un homme charismatique
L’association a son siège rue de la Résistance, en son bureau. Représentant indépendant en textile comme l’était son père, il profite de ses voyages à l’étranger pour tisser son réseau avant de recevoir chez lui, à la Vivaraize. La petite maison bourgeoise, confiée en son absence aux bons soins de son ami cinéaste Jean- Claude Parayre, est flanquée d’un jardin d’agrément dont il ne profite guère. Trop occupé à fréquenter les piscines (il nage le 25 mètres en 36’’8) et les services gouvernementaux. « Il tutoyait les ministres », confie Pierre Bayard, président du comité départemental handisport.
Yves Nayme rayonne, à l’instar des grands. De belle stature, toujours très élégant, il est aussi sympathique que charismatique. « C’était un type tenace », confie Jean- Claude Parayre. Une forte tête briguant les premières places, célibataire endurci, se dévouant corps et âme. Trop, au goût de certains, qui lui reprochent son vif désir de briller.
En 1970, les « tracasseries » se multiplient avec la FFSHP. Yves Nayme projette de grands jeux d’hiver à Chamonix. Il fait cavalier seul. On l’ostracise. Il se rebiffe, démissionne. On le radie. Les jeux ont finalement lieu à Courchevel sous l’égide d’une nouvelle fédération, la FFOHP, bâtie à son idée. Mais on ne peut éternellement rester fâché. Le ministère pousse à la réunification, effective en 1977. Yves Nayme organise encore les championnats du monde handisport à Saint-Étienne en 1990 – un triomphe- avant de prendre du recul. L’une de ses fidèles collaboratrices, Luciole de Richemond le remercie en ces termes : « Vous m’avez donné la joie de vivre par le sport. De n’être plus quelqu’un que l’on protège mais quelqu’un qui se domine ».
Chronologie
3 choses à savoir sur
Logistique
Dans les années 70, les conditions d’accueil sont rudes, ce dont ne se formalisent pas les compétiteurs. « Les hôtels n’avaient pas de chambres accessibles, se souvient le basketteur Pierre Bayard. On était hébergés dans des casernes. Pour les déplacements, nous montions dans les camions de transport de l’armée. Ils avaient installé une rampe, seule manière d’embarquer les fauteuils ».
Tout comme aux JO
En 1990, Saint-Étienne entend frapper fort pour ses Championnats du monde. Les 2000 ballons lâchés en 1966 et les milliers de lumignons installés en 1970 habitent encore les mémoires. Les organisateurs promettent du grandiose. 10 millions de francs sont engagés (dont 800 000 versés par le Département). Jean-Claude Parayre s’envole pour la Grèce. Il en ramène la flamme qui, débarquée en Savoie, est transportée en fauteuil jusque dans la Loire. Robert Hossein assure la mise en scène de la cérémonie d’ouverture commentée par Pierre Bellemare au stade Geoffroy-Guichard. L’hymne est signé Francis Lalanne. Le jour J, 1200 athlètes défilent derrière leur drapeau.
Gros sous
« Yves était membre du Rotary club international. Sans eux, nous n’aurions jamais pu financer les Jeux de Courchevel, raconte Jean-Claude Parayre. Nous partions tous deux en fin de journée pour rendre visite aux antennes de Clermont- Ferrand ou Dijon. Nous projetions un ou deux films évocateurs de notre action. Il récupérait les chèques, je pliais les projecteurs. Le lendemain nous étions à Grenoble ou Lyon. »
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