[UNE PAGE D'HISTOIRE] Henry's, le funambule de l'impossible

On célèbre cette année les 60 ans de la traversée de Grangent. Le 18 juillet 1965, Henry’s établissait un record mondial.

Publié le 3 mars 2025

 

 

Ce contenu vous est proposé en lien avec la Bibliothèque sonore de Saint-Étienne.

40 000 personnes ont fait le déplacement ce 18 juillet 1965 au barrage de Grangent. Postés sur les hauteurs, petits et grands n’ont d’yeux que pour le câble tendu dans les gorges. Les jumelles fouillent l’immensité, traquant l’impensable dans ce décor d’ocre et de jade : une silhouette humaine, perchée sur la ligne d’acier. Henry’s : pantalon rouge, front dégarni, bras écartés.

Parti à 16h47 des collines de la Baraillère, l’homme s’est engagé dans une traversée aérienne de 1 600 mètres. Le voici parvenu au milieu du lac. 247 mètres de vide le séparent des eaux sombres. Jamais encore le funambule n’avait pris de tels risques.

Aux caméras venues filmer l’exploit et au tout jeune Michel Drucker (*), le trentenaire a confié sa détermination : battre le record établi par Rudy le Tchèque, de la Compagnie des Diables blancs. Songe-t-il à la chute en cette heure crépusculaire ? Lutte-t-il contre l’appel du gouffre et du néant ?

Plus tôt dans la journée, le « jongleur de la mort » s’est isolé avec un ami. Les deux hommes ont considéré l’hypothèse d’une fin tragique et Pierre Lachaume a pris congé, chargé d’une missive. Simple précaution d’usage ?

L'amour d'une vie

« Il m’avait dit : “Si tu es là ça n’arrivera pas” », rejoue son épouse occupée aux fourneaux ce 9 janvier. Dans la casserole, riz et champignons. Un grand classique japonais. « Nous avons fait là-bas une très belle carrière », commente la nonagénaire. Henry’s est absent. L’âge l’ayant privé de son incroyable sens de l’équilibre, il a mis fin à ses jours en 2013. Il continue pourtant d’occuper tout l’espace. Costumes, photos, trophées, tableaux, sa mémoire est partout.

« C’était un passionné », confie Janyck tombée folle amoureuse, d’un coup d’un seul, un jour de 1961. « Il donnait un spectacle dans une école de Roanne (huit jours sur un fil, N.D.L.R.) et m’avait assuré qu’ensemble nous irions jusqu’au bout du monde ».

Du spectaculaire

C’est en 1965 à Grangent que débutent pleinement leurs aventures. Henry’s veut du spectaculaire – il en fera sa marque de fabrique- et s’est adjoint de gros moyens techniques. Il a fallu deux jours et l’aide d’un bulldozer, prêté par l’aimable Roger Rocher, pour fixer le câble en falaise.

Depuis le plateau d’Essalois, des volontaires tirent deux stabilisateurs fixés de part et d’autre de l’acrobate. Censés diminuer les vibrations du câble, ils gênent ses mouvements. Quand ils n’amplifient pas le balancement latéral. On l’entend jurer dans le talkie-walkie fixé au balancier : « Allez avancez avancez ! Bonté ! »

 

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136 minutes d'effort

Le vent s’est levé. Le temps tourne à l’orage. Le Stéphanois progresse lentement. Et le plus dur reste à venir avec 70 mètres de dénivelé. Henry’s s’arrête une première fois pour souffler, une seconde pour saluer la foule.

Capable de grandes colères, il sait aussi s’extraire de l’univers ambiant : « Ce qui étonne le plus chez cet homme, c’est son apparent détachement, le calme imperturbable affiché dans les conditions les plus graves », commentent les observateurs du jour.

À 100 mètres de l’arrivée, la clameur se meurt comme l’artiste se plaint du poids du balancier – 17 kg- : « J’commence à avoir mal aux brandillons ». Puis c’est la liesse générale. Il saute du câble, retrouve les bras de sa femme. Une montre en or, glissée à son poignet, lui rappellera ces 136 minutes d’angoisse et plus encore son exceptionnel triomphe.

 

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Ensemble, ils repartent sur le fil vers la colline d’en face, lui à moto, elle suspendue à la barre d’un trapèze. Leur Peugeot 404 les attend du côté de Saint-Victor. Ils y seront fêtés en héros. Avant d’autres exploits : à Monaco, au Puits Couriot ou sur le toit de Casino.

Une petite plaque commémore au château d’Essalois celui qui fit vibrer tout un pays. Ses cendres ont été dispersées dans l’herbe grasse. L’esprit demeure.

Chronologie

frise Henry's ok

3 choses à savoir sur

picto bateau  Remous intempestifs

Ce 18 juillet 1965, Henry’s fait halte à l’aplomb du barrage. Il lève un bras en direction des spectateurs qui, croyant à un salut, s’empressent d’applaudir. « On ne sut qu’après l’épreuve, écrit Jean Bertail dans Le funambule aux exploits, qu’il demandait que s’éloignent les bateaux qui, pour lui rendre hommage, ou pour mieux l’apercevoir, sillonnaient le lac. Leurs tourbillons, comme le bruit de leurs moteurs, créaient des ondes qui faisaient vibrer le câble ».

 

picto funambule  Fascination, tentation...

Les gorges de la Loire exercent sur Henry’s un fort pouvoir d’attraction. Par deux fois le funambule retourne à Grangent, en 1966 puis en 1980, au terme d’une année d’inactivité. Le quadra souffre alors des séquelles d’un grave accident survenu à Marcq-en-Baroeul (une épaule démise, deux poignets et un coude brisés dans une chute de 12 mètres). Il réalise néanmoins 1 000 mètres de traversée en 80 minutes.

 

picto chaise  Six mois, et cetera

C’est avec Grangent qu’Henri Rechatin accède à la célébrité mais c’est avec un record de durée qu’il décroche des contrats dans le monde entier. Entre le 28 mai et le 28 septembre 1973, le funambule entreprend de passer six mois sur un câble. Le Géant Casino de Saint-Étienne prête son infrastructure et s’assure un bon coup de pub. Jour et nuit, Janyck assiste son mari. Il n’est plus question d’habiter la petite maison de Terrenoire. La Stéphanoise occupe une caravane stationnée sur le parking. Leur fille Corine (née le 8 février 1968 sur… un fil) partage leur quotidien. À l’issue de cette nouvelle performance, Henry’s est appelé au Canada, en Norvège, au Japon, en Russie et en Corée. Ces numéros d’équilibre sur chaise feront par ailleurs l’objet de clichés mythiques à l’Aiguille du midi et aux Chutes du Niagara. 

© Photos transmises par la famille

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