
[DOSSIER 1/4] Eau : une histoire de partage
Propriétaire du canal du Forez, le Département assure la pérennité de l’ouvrage, essentiel à la vie dans la plaine. Il subventionne en plus tout paysan engagé dans la voie de la sobriété. Car la ressource en eau se fait rare et le sera d’autant plus dans les années à venir.
Publié le 26 mai 2025
Ce contenu vous est proposé en lien avec la Bibliothèque sonore de Saint-Étienne.
Parties de Saint-Just-Saint Rambert, les eaux serpentent dans la plaine jusqu’aux pieds de Montverdun. Elles parcourent ainsi 44 kilomètres. Beaucoup connaissent le canal du Forez pour arpenter ses berges à la faveur de balades dominicales mais peu savent que l’ouvrage appartient au Département.
L’édifice, majeur, sert l’alimentation en eau des populations, l’abreuvement des animaux et, du 1er avril au 30 octobre, l’irrigation des cultures par aspersion. Tous les ans, une période de chômage (vidange) calée en fin d’hiver, permet à l’institution de garantir sa pérennité. Il s’agit de contrôler l’étanchéité des ponts canaux, siphons, murs, tunnels et de reprendre les berges sur de gros linéaires. En bref, d’opérer des travaux d’envergure, l’entretien courant étant lui délégué au Smif (Syndicat mixte d’irrigation et de mise en valeur du Forez).
Les montants investis varient d’une année à l’autre (230 000 € en 2025) mais peuvent s’avérer conséquents, 150 ans d’histoire pesant sur la conduite artificielle.
De boue et d'argile
Le percement du canal débute en 1865 : Napoléon III en concède la charge au Département, prié d’investir deux millions de francs pour effectuer la jointure du moulin Joannade, sous la commune de Chambles, à Sury-le-Comtal. L’évacuation du granit, dans les gorges, se fait au pic et à la pioche. Il faut ensuite composer avec le sol meuble de la plaine.
« Selon la topographie, écrit Claude Cretin (*), le canal est établi parfois sur un remblai, parfois creusé. Dans tous les cas, les ouvriers ont les pieds dans l’argile et dans la boue ». Le terrassement est difficile mais le Conseil départemental engrange en 1870 quelques recettes : les premiers clients et souscripteurs voient l’eau couler sur leurs parcelles. On compte alors 358 hectares de terres irriguées.
La guerre stoppe le chantier. Les finances locales sont exsangues. Mais comment contrevenir aux attentes de M. Balay, plus gros souscripteur, avec 1 000 hectares de terres ? La préfecture choisit de poursuivre. À compter du château d’Aubigny, l’État financera seul l’ouvrage. « Faute de crédits et de souscriptions », le Département s’interdit de décaisser davantage.
30 années de travaux seront encore nécessaires pour aboutir à Montverdun.
Un ouvrage indispensable à l'agriculture
Talus et rigoles servent aujourd’hui l’arrosage de 6 300 hectares (on dénombre 600 kilomètres de canalisations aboutées à la dorsale et aux sous-branches de L’Hôpital-le-Grand et Poncins, 18 stations de pompage et autant d’associations d’irrigants sur le linéaire).
Les autorisations de prélèvement depuis le barrage de Grangent sont très réglementées : on accorde au canal un débit limité de 3,5 m3/ seconde. L’ouvrage permet de soutenir l’agriculture forézienne, notamment en période de sécheresse.
De nombreux efforts ont été conduits, en 50 ans, pour limiter le gaspillage. « En 1960, on comptait 89 millions de m3 consommés pour irriguer 1 500 hectares, note Valentine Quemin, responsable au Département de la cellule développement agricole et agroalimentaire. En 2024, ce chiffre était tombé à 38 millions de m3 pour 6 300 hectares et 500 hectares d’étangs ».
Mais toutes les exploitations ligériennes n’accèdent pas à cet or bleu. Alors que se banalisent et s’intensifient les coups de chaleur (la faute au changement climatique) force est d’imaginer, en rive droite de la Loire, dans le Jarez ou les collines du matin, de nouvelles façons d’irriguer les cultures.
Des aides directes aux économies d'eau
Le Département soutient les projets participant à l’adaptation au changement climatique. Associé au montage des dossiers, il suit de près trois fortes demandes collectives : la remise en état du barrage d’Échancieux à Violay pour permettre le stockage de 40 000 m3 au profit de quatre ou cinq agriculteurs, la création d’un réseau de canalisations connectées au Rhône pour les arboriculteurs du Jarez et la mobilisation d’un ou plusieurs étangs, du côté de Feurs, pour y collecter l’hiver les eaux du fleuve.
Mais les coûts financiers (25 millions d’euros dans le cas de ce dernier projet), les contraintes environnementales et techniques retardent les mises en chantier.
Les demandes individuelles, elles, sont plus faciles à satisfaire. « Nous ne sommes pas seuls financeurs, précise Rémi Berger, technicien hydraulique. La Région et l’Europe subventionnent en plus les dossiers. L’idée est d’inciter le milieu agricole à mieux utiliser la ressource ».
Un achat d’enrouleur ? Refusé. Un système de goutte à goutte ? Accepté. Montant des aides allouées en 2024 : 423 000 €, auxquels ajouter 123 861 € versés, hors irrigation, au bénéfice de 34 exploitations économisant l’eau potable. Les aménagements pris en charge sont multiples : forage, mise en place de cuve de stockage, captation d’une source… « On estime les économies réalisées à 1 000 m3 par an par exploitation financée. Depuis 2006 que cette aide existe, ce sont plusieurs millions de m3 d’eau potable qui n’ont pas été consommés ».
(*) Le canal du Forez, une double vie, Claude Cretin, aux éditions Actes graphiques
En chiffres
600Le nombre d'exploitations agricoles raccordées à la branche principale et aux deux artérioles de Poncins et L'Hôpital-le-Grand. 7 900 habitantsLe canal du Forez alimente en eau la ville de Feurs depuis 1988. L'eau sert également aux populations du Montbrisonnais en période d'étiage du Vizézy. 500 hectaresCertains étangs du Forez (500 hectares) dépendent de l'ouvrage qui sert aussi aux industriels (Zac des plaines et verrerie de Saint-Romain-le-Puy).
Parole d'élue
Chantal Brosse
Vice-présidente déléguée à l'Agriculture et 1ère vice-présidente du Smif
« Contrairement aux idées reçues, seule 7 % de la surface agricole du département est aujourd’hui irriguée. Chacun essaie de préserver la ressource en trouvant des solutions, y compris les agriculteurs. »
© Hubert Genouilhac
AUTRES ARTICLES DU DOSSIER
- [DOSSIER 2/4] Jamais sans le canal
- [DOSSIER 3/4] Une étude alarmante et un programme d'actions à construire
- [DOSSIER 4/4] Un territoire vulnérable au changement climatique : anticiper pour ne pas subir