[UNE PAGE D'HISTOIRE] 39-45 : une cache pour les enfants juifs
18 enfants juifs échappent en 39-45 à la barbarie nazie avec l’aide de Marie-Antoinette Vial-Flatry.
Publié le 27 octobre 2025
Ce contenu vous est proposé en lien avec la Bibliothèque sonore de Saint-Étienne.
Jo, Anette, Alex et Rose ont trouvé refuge au Nid en 1942. En ce printemps 44, seuls les aînés ont encore souvenir de leur nom de baptême. Nés Bloch, les Roche ont changé d’identité, déguisé leurs origines, leurs croyances, leurs pensées. L’obsession est au secret. Marie Antoinette Vial-Flatry, qui les héberge, n’est pas tranquille. Les bruits, la nuit, la jettent à la fenêtre. Les dénonciations la terrorisent. Mais de son angoisse elle ne laisse rien paraître.
La Boënnaise a travaillé deux ans pour l’Aide aux mères de Saint-Étienne. Investie et consciencieuse, elle s’est épuisée au chevet de familles en détresse.
Fin 1941, la directrice Juliette Vidal lui suggère un congé dont elle ne profite guère. Les récits de bombardements saturent les ondes radiophoniques : elle pense "maison d’enfants". Partout, on exile les jeunes citadins en campagne. Ses parents souscrivent à l’idée.
Il ne lui faut pas plus de 24 heures pour donner corps à l’entreprise. La cité Moizieux est à l’abandon. Marie Antoinette convainc le directeur de l’usine de lui remettre les clefs. Le grand logement est repeint et meublé avec l’aide d’un vieux jésuite.

Tickets de rationnement et bidons de confiture
« Nous avons fait un peu de publicité, pas tellement parce que j’avais des cousines à Marseille qui avaient des enfants de 8, 10 ans et qui étaient ravies de trouver un endroit pour les mettre à l’abri. En deux semaines c’était complet », explique-t-elle en 2010 à l’historien Antoine Cuisinier.
Trente lits occupent les deux dortoirs à l’étage. Cinq poêles à sciure, aimablement fournis par la famille Gauchon, réchauffent les pensionnaires. Chacun mange à sa faim. Les privations sont moindres en zone rurale où l’on trouve à se ravitailler ici en beurre, là en fromage. La directrice du Nid se fournit chez un exploitant agricole à Bussy. Aux gamins de la ferme, elle offre parfois du chocolat ; une tablette en remerciement des largesses du paysan.
Son père et son frère lui prodiguent viande (le paternel pratique l’abattage clandestin) et légumes. Et puis il y a les tickets de rationnement. « Les enfants arrivaient avec leur carte d’alimentation. La préfecture me donnait en plus droit à des rations supplémentaires : des grands bidons de cinq kilos de confiture par exemple ».
Juste parmi les Nations
Généreuse administration dont les services organisent, dans le même temps, la traque méthodique des juifs. En 1941, le préfet Potut a fait ficher 2 064 personnes. Le 26 août 1942, 71 juifs étrangers sont « ramassés » sous ses ordres et conduits au camp Beaunier. 40 sont entassés à bord de trains pour Auschwitz.
Juliette Vidal sonde alors son ancienne collaboratrice : accepterait-elle de recevoir des enfants juifs ? « Naturellement ! », répond la grande brune au sourire énigmatique.

Ci-dessus les enfants Bloch
Les gamins affluent de toute la France. Envoyés à l’école et à la messe, en bons petits chrétiens. Il faut donner le change, faire illusion. « C’est que les Allemands, lors de leurs arrestations, demandaient aux enfants de réciter des prières... » 18, cachés au Nid, échappent à la folie nazie.
Le « home » ferme ses portes en 1945, à la Libération. Malgré ses 24 ans, Marie Antoinette n’a plus aucun goût pour la frivolité. Son insouciance s’est envolée. Elle est reconnue Juste parmi les Nations en 1990 à la demande de Rose Roche -Ruth Bloch.

Chronologie

3 choses à savoir sur
Pain bénit
La directrice du Nid envoie ses pensionnaires faire provision de pain chez Mme Bruchet. Une fois par mois, Marie-Antoinette vient en boutique régler son dû. « Je portais une enveloppe avec tous mes tickets. Mais mon Dieu, il n’y en avait jamais assez… » La commerçante ne procède à aucun décompte. Elle ouvre le tiroir et secoue l’enveloppe à l’intérieur. « Elle me disait : "Les enfants, il faut que ça mange !" Et l’affaire était réglée, c’était extraordinaire ».
Fusillade
27 juillet 44. C’est jour de marché à Boën-sur Lignon mais les forains hésitent à garnir leurs étals. De très nombreux maquisards ont fait irruption en centre-bourg. Accompagnée de deux grands garçons, Marie-Antoinette comprend, place de l’église, qu’un affrontement se prépare. Les trois courent pour rejoindre la Cité Moizieux, rue de la gare. Les Résistants les pressent, un train allemand est annoncé, son attaque planifiée. La porte se referme sur les pensionnaires du Nid quand le convoi essuie ses premiers tirs. Assis par terre dans la salle à manger, les enfants terrorisés écoutent Marie-Antoinette leur narrer des histoires. Sans bruit, ils pleurent alors que les Allemands mitraillent derrière les volets. L’attaque fera trois morts, tous maquisards.
Le silence ou la mort
À l’autre bout du département, Renée Genin - Rachel Gecel - est secrètement conduite, une nuit de 1942, sur les hauteurs de Doizieux. Un couple de jeunes mariés s’est proposé de les transporter, elle et sa sœur, jusqu’à l’orphelinat des sœurs franciscaines. Les fillettes, habitant Roanne, ont embarqué à bord d’une traction noire. La mère supérieure leur ouvre dans l’obscurité et leur enjoint de faire silence. Chaque jour revient ensuite le même commandement : « Tu ne diras rien ». En 1943, les sœurs Genin sont exfiltrées vers Saint-Galmier, accueillies au domicile de Mme Bernard et Melle Cheney où elles demeureront cloîtrées 18 mois.
© Archives départementales de la Loire - Fonds Cuisinier 74 Fi









